FRANCE • Bienvenue chez les Ch'tis belges, suisses, britanniques...
Succès phénoménal en France, le film de Dany Boon fait aussi un tabac chez nos voisins suisses et belges. Revue de presse d'un phénomène qui (disent-ils) fait plaisir à voir.
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Le critique cinématographique du Temps, le quotidien francophone de Génève, doit bien l'avouer : il n'avait rien vu venir. "Allez comprendre pourquoi une comédie du Nord-Pas-de-Calais a attiré en deux semaines davantage de spectateurs [en Suisse romande] que Max & Co en un mois, le film d'animation des frères Guillaume, sujet de fierté suisse sur lequel les médias avaient tartiné ?" Aussi le quotidien avait-il préféré au moment de la sortie, il y a deux semaines, "porter [son] choix sur There will be Blood, le chef-d'œuvre de P.T. Anderson, qui n'a d'ailleurs pas démérité, faisant 17 000 entrées en Suisse romande pendant que la comédie de Dany Boon, sur laquelle nous avions passé comme chat sur braise, en engrangeait 20 000 !"
Même effarement outre-Quiévrain, rapporte pour sa part La Libre Belgique. "Le film connaît un engouement sans précédent en Belgique, dans la région frontalière où la culture et l'accent sont très proches de ceux du nord de la France, mais également dans le reste de la Wallonie et à Bruxelles. (...) En une semaine sur les écrans, il a déjà attiré 125 000 spectateurs, se réjouit son distributeur belge, complétement dépassé." Il faut dire, explique le quotidien bruxellois, que La Môme, par exemple, "avait fait 200 000 entrées sur toute sa carrière belge."
Même les Britanniques se sont rendu compte du phénomène. The Guardian, par exemple, explique que si "les Britanniques voient en Calais une destination pour alcooliques en goguette ou le point d'entrée en France d'un voyage par le tunnel sous la Manche, les Français, eux, ne voient en Calais que les brumes du Nord." "Depuis toujours", explique Angelique Chrisafis, la correspondante du quotidien, "la région Nord-Pas-de-Calais est vue comme un enfer misérable fait de mines de charbon et d'usines désaffectées, où des alcooliques, des chômeurs et des habitants suicidaires se réchauffent en se tapant dessus et en s'empiffrant de frites au vinaigre." Mais "tout a changé grâce à une comédie qui est devenue en quelques semaines un tel succès au box-office que Hollywood a déjà acheté les droits pour en faire une version américaine".
Quant à comprendre un tel succès, la Tribune de Genève "se risque à deux hypothèses. Tout d'abord, ce film survient au moment où une grande partie des Français exprime son ras-le-bol devant le comportement de nouveau riche adopté par le président Sarkozy et son entourage. La valse des Rollex, yachts Bolloré, palaces avec belles en Prada incorporées leur porte sur les nerfs - surtout à un moment où nombre de ménages lorgnent avec angoisse le prix de l'entrecôte. L'autre hypothèse concerne surtout les élites parisiennes. Dans les années 1940 et 1950, le cinéma français célébrait la Provence et Marseille. L'accent de Raimu embaumait les salles enfumées de Paris. Et puis, la Provence a vieilli. Les retraités ont réchauffé leur âge à son soleil. Le vote Front national s'est répandu. Et c'est tout juste si, de Paris, le Sud était encore fréquentable."
"A l'opposé, poursuit le quotidien suisse, cette région méprisée qu'était le Nord-Pas-de-Calais s'est relevée courageusement des ruines de la métallurgie et du charbonnage. Elle s'est mobilisée pour reconstruire sa société, qui est devenue plus ouverte. Le pays de Germinal s'est mué en modèle sympathique. Dès lors, Paris a placé sa boussole au nord. Et s'est trouvé en Dany Boon un nouveau Fernandel."
Quant au Temps, il avance une troisième hypothèse. "La raison du succès saute aux yeux dès le générique : Bienvenue chez les Ch'tis se présente comme une comédie française à l'ancienne, avec un sens populaire sans cynisme, sans zapping, juste une invitation à rigoler, dans la grande tradition des années 1960 et 1970, de La Grande Vadrouille à La Chèvre."
Et puis "avec ses belles relances dramatiques, ses dialogues gouleyants de parler ch'ti et sa tendresse sans calcul (Boon dédie le film à sa maman), Bienvenue chez les Ch'tis manifeste du respect pour le public en faisant table rase de l'humour TV qui contamine la comédie française depuis vingt ans". Et toc !
Anthony Bellanger