Prison ferme pour la liberté des mots
Un journaliste et son directeur de la publication viennent d’être condamnés à deux ans ferme pour avoir fait leur métier, pour avoir prononcé des mots, de simples mots de journalistes.
Soudainement, le droit de la presse, ils le connaissent bien ces effarouchés, le maîtrisent et s’en servent. Ce droit si bafoué quotidiennement devient la lecture minutieuse de leurs consciences. Deux ans ferme m’a-t-on dit. Qu’ont-ils fait ? Vol aggravé, violence caractérisée, comportement dangereux, mais qu’ont-ils fait donc ? Une lecture rapide de la presse renseigne sur le prétendu crime, le journaliste a écrit un billet d’humeur, le directeur de la publication l’a publié. Allons voir immédiatement dans les archives de ce 17 juin 2006. Stupéfaction, le propos est anodin, parfaitement justifié et sans aucune nouveauté quant aux corruptions ambiantes des localités algériennes. Des accusations bien plus graves, bien plus féroces avaient été déjà et depuis longtemps portées à l’encontre des actes publics inacceptables de certains barons locaux. Honte à ceux qui laissent impunis les crimes les plus odieux et qui s’en prennent aux plus démunis, à ceux qui ont le seul courage de leur parole. La plus grande des libertés et la plus tenace des forces. Oui la presse doit avoir des règles, oui la démocratie doit encadrer le droit de la parole. Oui, la presse peut être dangereuse et permissive. Oui les journalistes peuvent provoquer la haine et en appeler aux meutes et aux instincts les plus bas de l’humain. Oui la presse n’est pas au-dessus des lois. Mais que ceux qui s’offusquent aujourd’hui par cet article commencent par avoir le courage de dénoncer l’horreur et la torture du régime politique et des institutions avant de s’en prendre lâchement aux plus faibles, à ceux qui ne peuvent se défendre par la violence, à ceux qui ont l’éducation de l’écriture comme seule arme. Le drame algérien proviendrait des dérives de la presse ? C’est bien connu, n’est-ce pas ? C’est par elle que nous disposons du régime politique d’un autre âge. C’est de sa faute si la corruption est endémique dans ce pays à la dérive. Soyons sérieux, si l’on devait en appeler à une force symbolique pour en revenir à un Etat de droit, est-ce vraiment les journalistes qu’il faut frapper de la plus violente des dispositions légales ? Comme à chaque fois que la presse est muselée ou bafouée, je prends la plume pour les mots simples de l’indignation. Ils ne seront pas d’un grand secours pour nos deux condamnés mais c’est de notre indignation collective que peut commencer leur défense. Dans une précédente affaire concernant monsieur Belhouchet, j’avais condamné fermement ceux qui osent s’en prendre à la liberté de la presse par ces phrases : « Que ces magistrats cessent de s’en prendre aux défenseurs de la parole, aux défenseurs de la liberté, ceux qui n’ont pris les armes que par les mots de la conscience, de l’opinion. Qu’ils réservent leur courage aux véritables responsables des crimes les plus odieux envers cette nation. Qu’ils cessent de se targuer d’avoir jugé des généraux ou d’autres responsables en oubliant que la condition essentielle était qu’ils soient, au préalable, lâchés par leurs pairs. Qu’ils fassent preuve de l’inexistence de cette condition et nous leur serions redevables de leur conscience professionnelle ! Qu’on laisse tranquille la presse et que l’on s’en prenne aux auteurs des plus graves délits, des crimes contre l’humanité. Qu’ils aient ce courage, au moins une fois et nous leur rendrions hommage. » Deux ans de prison ferme pour la liberté de la presse et une candidature au Prix Nobel de la paix pour une vie politique des plus contestables, chacun trouvera l’erreur dans l’annonce concomitante de ces deux événements. Honte à ceux qui ne réagissent pas et continuent à servir un régime qui bâillonne la liberté. La seule place du journaliste est sur le terrain, celle de Belhouchet est aux commandes d’un outil des plus vitaux pour cette société en déperdition totale de toute valeur humaniste et démocratique. Monsieur Belhouchet a été le premier à me donner la parole à un moment où aucune autre personne n’avait auparavant osé porter la moindre critique envers nos dieux et nos maîtres, les généraux. Le premier article du genre, violemment adressé à ces derniers, a été publié dans les colonnes de ce quotidien. Cet article lui avait coûté quelques ennuis, lui qui est toujours resté en première ligne. D’autres intimidations, bien plus graves se sont depuis succédées contre cet homme qui fait son métier, tout simplement son métier. Je témoigne aujourd’hui, à nouveau, de ma reconnaissance envers un organe de presse dont je n’ai pas toujours, loin s’en faut, partagé les options même si nous partageons le même idéal de démocratie. Mais une chose est certaine, jamais aucun autre quotidien n’a été si prompt à publier mes articles, aussi violents soient-ils, envers ce régime bestial. A mes contradicteurs juristes qui me répondront que la presse doit être encadrée dans une démocratie, je leur rétorquerai qu’il faut commencer par lui donner sa liberté de parole. Une inversion des priorités qui me semble des plus logiques. L’auteur est : Enseignant
Sid-Lakhdar Boumediène
El watan