Décongestionnants, «wake-up», antidouleurs, sirops contre la toux... La consommation abusive de médicaments en vente libre est un véritable fléau chez les jeunes, déplore le pharmacien Mario Fiset.
«Depuis 13 ans que je suis au centre-ville de Québec, la hausse est fulgurante. À telle enseigne que, pour la première fois la semaine dernière, je me suis fait demander par un jeune de 18 ou 19 ans une machine pour fabriquer des médicaments!
«C’était probablement pour la revente. La consommation de pseudoéphédrine, qui entre dans la composition de décongestionnants et de drogues de rue comme le Crystal meth, est à la mode chez les jeunes», constate M. Fiset, dont l’officine sous la bannière Uniprix est située rue de la Couronne.
Le phénomène préoccupe d’ailleurs l’Ordre des pharmaciens du Québec qui demande à ses membres de porter attention aux clients qui achètent plusieurs boîtes de décongestionnants ou qui viennent souvent à la pharmacie s’en procurer.
Les jeunes prennent de la pseudoéphédrine pour rester éveillés toute la nuit, au moment de parties rave. Souvent, ils consomment cette substance avec de l’alcool ou des boissons énergisantes.
Dépendance rapide
«Une fois qu’on a goûté à cela, la dépendance s’installe rapidement. La consommation abusive de pseudoéphédrine peut de plus entraîner des problèmes cardio-vasculaires très importants», note M. Fiset.
Selon ce dernier, certains individus sont tellement accros qu’ils font usage de pseudoéphédrine pour accroître leur performance au travail. Cette substance, présente dans plusieurs produits pour le rhume ou la grippe, se métabolise en méthamphétamine, un stimulant du système nerveux central.
Les effets observés chez les utilisateurs abusifs vont de l’agitation à l’euphorie, à la tachycardie et autres symptômes pouvant aller jusqu’aux convulsions et au coma, voire, dans les cas extrêmes, au décès.
Constitués de caféine, les «wake-up», quant à eux, sont surtout utilisés par les étudiants désireux de demeurer plus longtemps alertes en période d’examens.
Antidouleurs
M. Fiset, pour sa part, garde derrière le comptoir les sirops contre la toux à base de codéine. «On constitue un dossier pour chaque patient qui en consomme. On fait de même pour le Gravol. Les préparations commerciales favorisant le sommeil sont aussi tenues à l’arrière, afin d’éviter les surdoses», signale-t-il.
Par ailleurs, une première étude ontarienne réalisée l’an dernier, auprès de 6500 élèves de la 7e à la 12e année, a révélé qu’un jeune sur cinq consommait des antidouleurs, comme les Tylénol 3 ou l’OxyContin, à des fins récréatives.
Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale, plus des deux tiers de ces jeunes se procurent ces antidouleurs à la maison, à l’insu de leurs parents. L’autre tiers les obtiennent par un ami ou un revendeur.
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Avec le Ritalin aussi...
Des adolescents québécois traités au Ritalin en font un usage détourné, en augmentant leurs doses ou en mélangeant leur médicament avec de l’alcool ou d’autres drogues, met en lumière une récente étude de l’Institut national de santé publique du Québec.
Le dernier Bulletin d’information toxicologique de l’Institut brosse un tableau de l’accessibilité et de l’utilisation inappropriée de médicaments sur ordonnance et en vente libre à des fins non médicinales, particulièrement chez les adolescents et les jeunes adultes.
Jean-François Bussières, chef du service de pharmacie à l’hôpital Sainte-Justine, a cosigné cette étude. Compte tenu du peu de données accessibles au Québec, les auteurs ont examiné les habitudes de consommation des médicaments en vente libre chez les jeunes Américains.
Celles-ci, estime-t-on, sont assez représentatives de ce qu’on trouve ici. Certaines études épidémiologiques décrivent l’utilisation d’amphétamines chez 10 % des élèves du secondaire, au Québec.
Décès rapportés
En outre, jusqu’à 22 % des adolescents américains ayant un trouble du déficit de l’attention abuseraient de leur traitement au Ritalin. Euphorie, hallucinations, confusion, vomissements, hypertension sont parmi les effets indésirables observés. Des décès sont même rapportés.
D’autres études américaines font état de l’utilisation de barbituriques chez 6,5 % des élèves de 12e année. Environ 2,5 % des élèves de 12e année font usage de stéroïdes. On a constaté, dans certains cas, jusqu’à 100 fois la dose thérapeutique!
La consommation de drogues licites chez les élèves américains de la 8e à la 12e année varie selon le médicament. Elle augmente généralement avec l’âge. Au menu: amphétamines, Ritalin, antidouleurs, tranquillisants, barbituriques, stéroïdes et autres.
Les jeunes prennent le plus souvent ces médicaments dans un but récréatif, pour s’éclater, se tenir éveillés plus longtemps. La consommation de médicaments en vente libre serait aussi associée à l’usage régulier ou occasionnel d’alcool, de tabac ou de marijuana.
Contrefaçon
Nul doute, selon les auteurs, que les pharmaciens doivent se préoccuper du libre accès à des médicaments qui sont sources d’abus. Dans les officines, le Code médicament n’est pas forcément un outil bien compris de la population et son utilisation devrait être revue.
Les chercheurs s’inquiètent également de la contrefaçon de médicaments et la possibilité d’acheter ces produits sur Internet. Une enquête québécoise sur l’utilisation des drogues licites s’impose, selon eux, dans les écoles, auprès des jeunes de la rue et d’autres groupes.