Alain Llorca a dirigé pendant 7 ans les cuisines du mythique Negresco sur la Promenade des Anglais à Nice attirant ainsi sur lui l'attention d'un public international. Enfant du pays sur la Côte d'Azur, il accède en 2003 à son rêve de voler de ses propres ailes dans un établissement à son nom.
Il reprend en 2003 le Moulin de Mougins créé et animé pendant des années par Roger Vergé et son épouse.
Restauration, événements, hébergement, école de cuisine, le Moulin de Mougins est un établissement conséquent dans lequel une équipe de plus de 50 personnes s'active pour accueillir une clientèle locale et surtout internationale au rythme des salons et événements du bassin cannois.
Alain Llorca est entouré de son frère, Jean-Michel, Chef Pâtissier.
En cuisine, au moulin, le mardi est chaque semaine le théatre d'une agitation particulière : ce jour-là, on change la carte, on propose au moins un nouveau plat. Toujours une pression en plus pour la brigade et le personnel en salle.
Alain Llorca sort des cuisines, réajuste son tablier, et m'accorde un peu de son temps dans le salon en se désaltérant d'un grand verre d'eau fraîche pétillante tout en gardant un oeil attentif sur le service et l'arrivée des clients du midi.
"Diriger cet établissement réclame une organisation de travail inouïe" me confie-t-il. "Des journées très rythmées, de 7 heures à 1 heure du matin, entre cuisine, encadrement, décoration, marketing et chiffres. Mais c'est nécessaire pendant quelques années pour installer et maintenir la satisfaction des clients."
Découvrez ses réponses au questionnaire du goût mené tambour battant avant de retourner en cuisine pour y suivre le déjeuner du mardi.
Arts-Culinaires.com - Qu'est-ce que le goût pour vous ?Alain Llorca – Le goût est pour moi un véritable mystère : différent chez chacun de nous, il évolue semble-t-il dans le temps et pourtant nous retrouvons sans cesse les émotions de notre enfance. Il a une base qui ressurgit comme par miracle pour accompagner nos réactions. Tous nos sens participent à sa création et à son développement.
Je ne connais aucune définition du goût. L'incertitude plane... Evidemment on peut parler à une époque donnée d'un goût partagé par une plus ou moins grande majorité mais est-ce une certitude ?
J'essaie de respecter la nature en choisissant des produits frais, sains, pas forcément beaux au sens géométrique du terme, avec des couleurs qui m'interpellent, qui m'inspirent, m'invitant à rêver à des associations d'émotions pour se fondre dans une création qui me donne du bonheur qui, je l'espère, sera partagé.
AC - Goût et partage sont indissociables ?
AL - Cette idée de communiquer est omniprésente. La cuisine c'est une façon de partager. Entre nous en cuisine, puis avec le client en salle. Lorsque je crée un plat, je pense toujours à ce que j'aimerais déclencher à table, chez mes clients. J'espère que la dégustation du plat va déclencher une réflexion, que les clients auront envie d'en discuter entre eux à table.
Moi je suis très gourmand. Et j'adore manger chez un confrère. Je fais des bons en découvrant les plats. C'est un moment de surprise et de convivialité extrème.
AC - Le goût des plats doit surprendre ?
AL - Pour moi, surprendre fait partie du plaisir. Je suis toujours à la recherche de la différence, de ce qui va faire l'originalité d'un plat, d'une recette, d'un goût. La différence c'est ce qui fonde l'identité d'un individu. Cette recherche de la différence est semblable chez les cuisiniers et chez les coûturiers par exemple. Offrir chaque fois la surprise aux clients, c'est le gage de leur fidélité. Enfin, c'est cet état d'esprit qui m'anime.
AC - Par exemple, aujourd'hui, qu'allez-vous servir en espérant surprendre ?Par exemple, aujourd'hui, mardi, comme toutes les semaines, la carte est revisitée. Je propose une terrine d'agneau. Alors, comment surprendre avec une terrine d'agneau ? On a choisi de la traiter "façon tajine" pour la cuisson. Et dans l'assiette, tout est présenté en cubes ou en gelée pour une belle harmonie des couleurs : l'aubergine, le fenouil, le poivron, l'oignon et la petite semoule. Chaque produit garde son intégrité si on le mange seul. Mais l'idée est de tout prendre en même temps en une bouchée : et là, c'est la tajine qui est révélé !
AC - Si on vous proposait une leçon de goût, quel professeur rêveriez-vous d’avoir ?
AL - Si on me proposait une leçon de goût, j'accepterais immédiatement. J'attendrais du professeur bon sens et imagination. Mais le bon sens est peut-être la seule chose qu'il est impossible d'enseigner et n'a que très peu à voir avec les connaissances.
Mais un professeur idéal peut prêcher par l'exemple sans trop penser à me transmettre des idées. J'attends de lui qu'il oublie ma présence et me communique avec amour ce qui l'inspire. Un geste, une parole livreront peut-être leur secret...
A vrai dire, le professeur idéal, je l'ai connu. C'était ma grand-mère. Ses plats les plus simples continuent pour moi d'être des modèles. Leur goût est inimitable. La cuisine est un rêve qui intègre tous nos sens, tout notre être avec ses souvenirs.
Taine, grand philosophe français du 19ème siècle parlait déjà d'un "instinct irréfléchi, aveugle et divin... que nous appelons le goût".
AC - Quel goût déclenche chez vous une émotion, un souvenir, un état particulier ?
AL - Sans hésitation les pommes de terres fondantes de ma grand-mère maternelle. Je ne peux manger nulle part ailleurs ces pommes de terre confites, à la fois fondantes et croustillantes avec des oignons.
Propos d'Alain Llorca recueillis par [email]Véronique BRAUN[/email] le 5 octobre 2004
Publié le 11-10-2004.