Le retour de Najlae, par Caroline Fourest
LE MONDE | 12.03.10 | 13h48 • Mis à jour le 12.03.10 | 13h48 Réagissez (11) Classez Imprimez Envoyez Partagez
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La France n'est pas qu'un pays de crispations, électorales ou nationales. C'est aussi un pays où une chaîne de solidarité s'est mise en mouvement pour permettre le retour de Najlae. Sur le "mur" de sa page Facebook, ses amis n'ont qu'une idée : fêter son retour. "Tu nous dis quand tu es dans l'avion O.K. ? Et promis on vient tous te chercher la bouteille de champagne à la main (lol)...? trop contente pour toi ma belle !"
Grâce à Internet, la lycéenne n'a jamais tout à fait perdu le contact pendant son expulsion au Maroc. Aujourd'hui, elle poste des messages de joie. Elle veut faire la fête et vite reprendre les cours. Sa classe lui a manqué "grave". Et de fait, ce retour, c'est du sérieux... Pour elle. Pour cette République et son âme. Ce n'est pas rien.
Najlae Lhimer est scolarisée en France depuis cinq ans. Elle avait 14 ans quand son père a décidé de la marier à un homme plus âgé. Sa mère a préféré l'envoyer chez son frère, à Châteaurenard, pour qu'elle puisse grandir en liberté. Mais le grand frère a voulu jouer au patriarche et s'est transformé en tyran. Ce jour-là, il frappe plus fort que jamais. Najlae arrive couverte d'hématomes chez les parents de sa meilleure amie, qui l'abritent et lui conseillent de déposer plainte. Le lendemain, elle se présente au commissariat. Le surlendemain, elle est dans l'avion : expulsée. Jetée vers un pays qu'elle ne connaît plus, et où elle est en danger si son père ou des membres de sa famille lui mettent la main dessus.
Heureusement, la chaîne de solidarité est déjà en marche. La famille qui l'a hébergée ne laissera pas faire. Le beau-père de sa meilleure amie est comptable, d'origine turque, et amoureux de la laïcité. Lui et sa compagne vont prendre la tête d'un comité de soutien. Son beau-frère saute dans l'avion pour arriver au Maroc avant Najlae, l'accueillir et l'emmener chez des amis où elle pourra se cacher. Le petit groupe contacte RESF (Réseau éducation sans frontières) et la Cimade, qui vont remuer ciel et terre pour lui venir en aide et faire connaître son histoire. A Châteaurenard, 500 personnes (un cinquième des habitants !) défilent lors d'une marche silencieuse pour que "Najlae revienne en France".
Le préfet est furieux d'avoir à se pencher sur ce dossier. Mais voilà, la presse s'en est emparée. Il faut bien se justifier. N'était-ce pas une promesse du président de la République ? Que disait-elle déjà ? "Chaque fois qu'une femme sera martyrisée dans le monde, cette femme devra être reconnue comme citoyenne française et la France sera à ses côtés."
Le 8 mars approche. Ni putes ni soumises, qui a l'oreille de Nicolas Sarkozy, a su le convaincre de faire une annonce. Le président "se dit prêt à l'accueillir, si elle le souhaite".
Et comment qu'elle le souhaite... Najlae n'est pas assurée d'avoir la nationalité, mais elle a au moins un visa et une carte de séjour provisoire. Elle rentre ce week-end en France, où tous ses amis et son futur l'attendent. Son profil Facebook a changé. Il indique de nouveaux "parents" : deux mères, celles de ses meilleurs amis. Elles ont réveillé la France pour que cette enfant virtuellement adoptée (Najlae est indiquée sur leur page Facebook à la case "enfant") puisse rentrer.
La bonne nouvelle est là. Il faut la célébrer. Sans oublier les autres Najlae, qui continuent à subir la double peine. Comme ces femmes migrantes venues dans le cadre du regroupement familial. Elles perdent leur titre de séjour si elles quittent un mari qui les bat et brisent ainsi la "communauté de vie".
Grâce au nouveau dispositif contre les violences faites aux femmes, un juge peut décider de leur accorder un titre de séjour. Mais la France reste en retard concernant l'application de la convention de Genève quand une femme est menacée en raison de son "genre".
Il reste bien des femmes à abriter pour que la République soit à la hauteur de la fraternité. Une ambition qu'ont su faire vivre les citoyens ayant oeuvré au retour de Najlae.
Caroline Fourest