La chute du billet vert et des actifs financiers alimente la flambée historique du pétrole
LE MONDE | 13.03.08 | 14h03 •
Le marché pétrolier, en partie déconnecté de l'économie réelle, évolue au gré des inquiétudes des investisseurs. C'est l'effondrement du dollar par rapport aux autres monnaies qui, depuis plusieurs jours, semble faire voler les prix de l'or noir de record en record. Malgré la reconstitution plus forte que prévu des stocks de brut aux Etats-Unis annoncée mercredi 12 mars, le baril de brut pour livraison en avril a atteint 110,20 dollars à New York avant de terminer la séance à 109,92 dollars.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui défend les intérêts des pays consommateurs, réunira lundi 17 mars, à Paris, experts (compagnies, courtiers, banques...) pour éclaircir les raisons de cette flambée. George W. Bush a déclaré mercredi, sur la chaîne de télévision PBS, que "la valeur du dollar a affecté le prix du pétrole", tout en se disant "persuadé que c'est l'offre et la demande qui ont véritablement causé la plus grande part de la hausse".
Le président américain souhaite que son vice-président Dick Cheney, en tournée au Proche-Orient à partir de dimanche, obtienne de l'Arabie saoudite la hausse de la production que l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) refuse depuis des mois.
Pour l'heure, les fondamentaux de l'offre et de la demande jouent peu, même s'ils devraient revenir en force à terme et tirer les prix vers le bas en raison du recul de la consommation de pétrole dans la zone OCDE. Pourquoi donc cette forte hausse depuis plus d'une semaine ?
"DANS UNE SPIRALE"
"Quand le dollar se déprécie face aux autres devises, cela accroît le pouvoir d'achat des non-Américains, répond François Lescaroux, économiste à l'Institut français du pétrole. Mais comme il n'y a pas d'offre de pétrole supplémentaire en face, le prix du baril augmente pour rétablir l'équilibre offre-demande. Sur les marchés, les courtiers ont constaté - sinon compris - qu'en misant sur l'augmentation du pétrole, ils gagnent de l'argent." On est "dans une spirale", ajoute-t-il : la hausse du prix du baril tire l'inflation qui entraîne une dépréciation du dollar et une nouvelle augmentation du prix du brut et des produits distillés.
Thierry Lefrançois, économiste chez Natixis, estime qu'au cours pétrolier du 4 mars, 276 milliards de dollars (177 milliards d'euros) sont investis sur le pétrole à New York, tous acteurs confondus. "Le pétrole est considéré comme une protection vis-à-vis de la baisse du dollar et la corrélation est forte sur les dix-huit derniers mois", note-t-il.
Pour Patrick Artus, directeur des études économiques chez Natixis, l'analyse selon laquelle les prix monteraient pour assurer une couverture contre la baisse du dollar est "une idée reçue". "Le monde est devenu vendeur d'actifs américains, explique-t-il. Les fonds d'investissement vendent les produits complexes à base d'action, d'obligation ou de crédit et ils réinvestissent dans les matières premières, pas seulement le pétrole." En outre, "si l'on regarde les liens théoriques dollar-pétrole, ils vont dans tous les sens".
L'histoire montre que la corrélation n'est pas automatique. En 1999-2000, le dollar et le pétrole étaient en hausse parce que l'économie américaine était dynamique, rappelle-t-il. Il y avait alors une cohérence avec l'économie réelle. Aujourd'hui, la consommation baisse aux Etats-Unis, qui représentent près du quart de la demande mondiale. Si les fondamentaux finissent par prévaloir, note M. Artus, le baril retombera dans les six mois à 70 dollars. La plupart des experts n'en tablent pas moins sur un prix moyen supérieur à 85 dollars en 2008.
Jean-Michel Bezat
Article paru dans l'édition du 14.03.08.
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